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Microbes alimentaires : nourrir notre immunité plutôt que la provoquer

Un fait marquant ressort des données de consommation américaines : les personnes qui consomment régulièrement des aliments riches en microbes vivants ingèrent chaque jour entre 10⁸ et 10¹² micro-organismes (contre environ 10⁶ aux États-Unis en moyenne). Cette exposition, loin d’être marginale, est associée à des effets mesurables sur la santé : baisse de la pression artérielle, amélioration du profil lipidique et diminution des marqueurs inflammatoires chez les plus grands consommateurs.

Notre système immunitaire est donc un lecteur attentif du monde microbien. Mais ce n’est pas l’exposition à des agents pathogènes seul qui l’éduque le mieux : c’est la fréquentation quotidienne de microbes inoffensifs, souvent alimentaires, avec lesquels notre organisme a co-évolué. Ces microbes alimentaires, présents dans certains aliments fermentés ou sous forme de probiotiques, représentent un levier concret pour renforcer la tolérance immunitaire, dans une société où cette diversité tend à disparaître.

Microbes alimentaires : des compagnons quotidiens à ne pas négliger

Les microbes alimentaires regroupent les micro-organismes vivants ingérés via les aliments – probiotiques ou non – selon la définition OMS/FAO et ISAPP. Ils ne concernent ni les médicaments, ni les préparations fécales, ni les probiotiques topiques ou vaginaux. Nous les ingérons régulièrement ou pas (selon les cultures) via :

 

  • des aliments fermentés traditionnels (fromages, yaourt, salami, choucroute, kéfir, natto, kimchi, miso non pasteurisé…),
  • des produits enrichis en probiotiques (comme le lait fermenté contenant LcS),
  • des légumes frais non traités (qui hébergent naturellement des communautés microbiennes).

 

Contrairement aux bactéries endogènes de notre microbiote, ils sont transitoires, mais leur passage intestinal provoque des interactions bénéfiques, métabolique souvent, mais aussi avec notre système immunitaire. Seuls certains peuvent être appelés probiotiques, à condition qu’ils soient vivants, administrés en dose suffisante, et qu’ils aient démontré un effet bénéfique documenté scientifiquement (définition OMS/FAO, ISAPP).

Quand on parle des « dietary microbes » on considère des microorganismes vivant, incluant les bactéries probiotiques et les microorganismes non- probiotiques (selon la définition OMS/FAO, ISAPP), et consommée par la nourriture ; donc pas les médicaments ou les préparations des masses fécale pour transplantation, ni les probiotiques topiques ou vaginaux.

Holobionte : une vision élargie de la santé humaine

Quel lien le corps humain peut-il avoir avec les microbes alimentaires ? Nous sommes en réalité un holobionte, c’est-à-dire un super-organisme constitué à la fois de cellules humaines et de communautés microbiennes. Ce microbiome hébergé joue un rôle fondamental dans le métabolisme et la physiologie et l’immunité, notamment la régulation inflammatoire.

 

Le microbiote alimentaire permet d’introduire ou de réintroduire des signaux microbiens bénéfiques au sein du microbiote résident, maintenant le dialogue hôte-microbiote au cœur de l’équilibre immunitaire. Mais cet équilibre subtil, est fragile.

Les “old friends” : microbes oubliés, immunité désorientée

L’absence de diverses sollicitations du système immunitaire (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9540269/), appelée plus tard « théorie des vieux amis » (Rook et al., 2013) est en partie corroboré par l’observation selon laquelle, depuis 1950, il existe une corrélation inverse frappante entre la diminution des maladies infectieuses et l’explosion des maladies immunitaires (allergies, maladies auto-immunes) (J.F. Bach, 2002 : The Effect of Infections on Susceptibility to Autoimmune and Allergic Diseases | New England Journal of Medicine).

Nos “vieux amis” microbiens (environnementaux, alimentaires) stimulent la tolérance, notamment via l’activation des cellules T régulatrices et la production d’IL-10. Dans nos sociétés occidentales industrialisées, cette stimulation est aujourd’hui insuffisante. Les microbes alimentaires permettent de réinjecter cette diversité disparue dans l’alimentation moderne.

 

 

Aliments fermentés ≠ probiotiques : deux approches complémentaires

 

Les aliments fermentés (comme la choucroute ou les fromages au lait cru) :

  • apportent une diversité spontanée de micro-organismes,
  • ne sont pas standardisés,
  • ni toujours viables à l’ingestion,
  • procurent des bénéfices nutritionnels liés à la fermentation elle-même

 

Les probiotiques :

  • sont des souches spécifiques, vivantes et documentées,
  • visent des effets ciblés : modulation des cytokines, stimulation des IgA, activation des NK…
  • offrent une reproductibilité d’effet et une dose maîtrisée.

 

Les fermentés : utile pour enrichir la diversité microbienne.

Les probiotiques : pertinent pour agir sur une cible (immunitaire) précise.

 

Le lait fermenté : plus qu’un simple véhicule

Autre question : sous quelle forme consommer ces microbes alimentaires. C’est ici qu’intervient l’importance de la matrice alimentaire, en particulier la matrice laitière.

 

Le lait fermenté n’est pas qu’un support neutre : il tamponne l’acidité gastrique, améliorant la survie des souches, il favorise leur adhésion à l’épithélium intestinal, il fournit des substrats fermentes cibles qui peuvent amplifier l’effet du probiotique (ex. : synergie avec des galacto-oligosaccharides).

 

 

 

En pratique : intégrer les microbes alimentaires dans vos recommandations

En consultation, pensez microbes alimentaires chez les patients :

  • avec une alimentation monotone ou ultra-transformée,
  • en association avec les antibiotiques,
  • en récupération post-antibiotiques
  • en cas de stress chronique ou une immunité affaiblie (âge, sport intensif, infections récidivantes)

 

Repères pratiques pour vos patients :

Objectif quotidien 108 à 109 micro-organismes vivants (soit l’équivalent d’un produit laitier fermenté)

 

Fréquence optimale consommation quotidienne plutôt que ponctuelle

 

Favoriser les fermentés traditionnels vivants : kéfir maison, miso non pasteurisé, choucroute crue, tempeh, yaourts contenant des ferments vivants.

Privilégier les probiotiques dans des matrices protectrices : préférer les formes lactées fermentées à des compléments secs non réfrigérés.

Lire les étiquettes avec discernement : chercher la mention d’une souche clairement identifiée, d’une dose exprimée (en UFC), et, idéalement, d’une référence à des effets cliniques démontrés.

Ces recommandations contribuent à restaurer la diversité microbienne sans risque infectieux et soutiennent la résilience immunitaire.

 

 

À retenir

Le système immunitaire doit être exposé à une diversité de microbes non pathogènes pour rester tolérant. Les microbes alimentaires réactivent ces signaux bénéfiques oubliés et soutiennent un équilibre immunitaire durable.

Dans ce contexte, les microbes alimentaires jouent un rôle essentiel : ils réactivent des signaux bénéfiques oubliés, sans effet infectieux, et soutiennent un équilibre immunitaire subtil, mais durable.

En tant que professionnel de santé, vous pouvez les intégrer concrètement dans vos recommandations, en ciblant à la fois la diversité microbienne (fermentés) et la fonctionnalité documentée (probiotiques).

Références

  1. Rook GA, Lowry CA, Raison CL. Microbial ‘Old Friends’, immunoregulation and stress resilience. Evol Med Public Health. 2013 Jan;2013(1):46-64. doi: 10.1093/emph/eot004. Epub 2013 Apr 9. PMID: 24481186; PMCID: PMC3868387.
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  3. Swarbrick ET et al. Diabetes autoantibodies and early childhood infections. BMJ. 2001.
  4. Tuomilehto J et al. Hygiene and childhood diabetes. Diabetes Care. 1999.
  5. Marco ML et al. The International Scientific Association for Probiotics and Prebiotics (ISAPP) consensus on fermented foods. Nat Rev Gastroenterol Hepatol. 2021.
  6. Dimidi E et al. Fermented foods: definitions and characteristics, impact on gut microbiota and effects on gastrointestinal health. Nutrients. 2019;11(8):1806.
  7. Mota de Carvalho N et al. Health-Promoting Properties of Fermented Foods. Fermentation. 2018;4(4):94.
  8. Hill C et al. Expert consensus on probiotics 2023. Nat Rev Gastroenterol Hepatol.
  9. Kostic AD et al. The microbiome in inflammatory bowel disease: current status and the future ahead. Genes Dev. 2013;27:701–718.
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  11. Wastyk HC et al. Gut-microbiota-targeted diets modulate human immune status. Cell. 2021.
  12. USDA (U.S. Department of Agriculture) Meal plan and microbiota-friendly dietary guidelines.
  13. Trends in Microbiology. The influence of food matrices on probiotic viability. 2015.
  14. Han L, Wang Q. Association of Dietary Live Microbe Intake with Cardiovascular Disease in US Adults: A Cross-Sectional Study of NHANES 2007-2018. Nutrients. 2022 Nov 20;14(22):4908. doi: 10.3390/nu14224908. PMID: 36432594; PMCID: PMC9698609.