Microbiote intestinal

Focus sur l’axe cerveau-intestin

Le microbiome intestinal peut être considéré comme le « chef d’orchestre de notre santé », qui travaille avec les organes et les systèmes du corps humain à travers différents axes afin de maintenir l’homéostasie et d’assurer une santé optimale. Dans cet article, nous nous intéresserons plus particulièrement à l’axe cerveau-intestin 

L’axe cerveau-intestin fait référence à la relation bidirectionnelle entre le microbiome intestinal et le cerveau. La communication entre le microbiome intestinal et le cerveau est complexe et implique de nombreuses voies différentes, notamment endocriniennes, immunitaires, métaboliques et neurologiques.

Cette interaction implique le système nerveux central et le système nerveux entérique, reliant les centres émotionnels et cognitifs du cerveau aux fonctions périphériques de l’intestin.1

Une partie essentielle de l’axe cerveau-intestin est le nerf vague, qui prend naissance dans la moelle du tronc cérébral et se ramifie dans la poitrine jusqu’à l’abdomen, reliant physiquement l’intestin et le cerveau. La communication entre l’intestin et le cerveau se fait principalement par le nerf vague.2,3

Deuxième cerveau ?

On entend souvent dire que nos intestins sont notre « deuxième cerveau », mais ce n’est pas tout à fait vrai. En fait, le système nerveux entérique est notre deuxième cerveau. Il s’agit d’un réseau d’environ 500 millions de neurones situés le long du tractus gastro-intestinal, qui constitue une grande partie du système nerveux périphérique et peut contrôler la fonction gastro-intestinale indépendamment de l’intervention du système nerveux central. Le système nerveux entérique est relié au nerf vague2 et peut communiquer avec le cerveau par l’intermédiaire de divers neuromodulateurs et neurotransmetteurs, ainsi que par des métabolites microbiens tels que les acides gras à chaîne courte (CSF).3

Au fait, le saviez-vous ? Bien que 95 % de la sérotonine (l’hormone du bonheur) soit produite dans l’intestin4,5, il est peu probable qu’elle puisse franchir la barrière hémato-encéphalique.6 Il semble néanmoins que les neurotransmetteurs produits par l’intestin, tels que la sérotonine, puissent influencer indirectement l’humeur via le système immunitaire et le nerf vague ; des recherches frénétiques sont en cours à ce sujet. Cependant, le tryptophane (un acide aminé essentiel et la molécule précurseur de la sérotonine) peut traverser cette barrière et ainsi moduler indirectement la production et la fonction de la sérotonine dans le cerveau.7

Lien avec les troubles neurologiques

La recherche observationnelle montre un lien entre la dysbiose intestinale et certains troubles neurologiques tels que l’autisme, les troubles psychiatriques liés au stress, la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson.

Autisme

L’autisme, également connu sous le nom de trouble du spectre autistique, est un trouble neurologique et du développement qui dure toute la vie et qui affecte la façon dont les personnes interagissent, communiquent, apprennent et se comportent avec les autres. Les symptômes gastro-intestinaux sont fréquents chez les personnes autistes.8,9 De nombreuses études ont montré que la colonisation précoce du microbiote intestinal, le mode d’administration et l’utilisation d’antibiotiques ont un impact significatif sur le microbiome intestinal et le développement de l’autisme.8

Troubles psychiatriques liés au stress

Les personnes souffrant de troubles psychiatriques liés au stress, tels que l’anxiété et la dépression, présentent une dysbiose intestinale.10 Celle-ci se caractérise par une présence accrue de cellules pro-inflammatoires et une diminution des bactéries produisant des acides gras à chaîne courte.10 Il existe un lien entre certaines bactéries (par exemple l’Eggerthella, dont on sait qu’elle joue un rôle important dans la synthèse de neurotransmetteurs clés dans la dépression) et la sévérité des symptômes.11

La maladie d’Alzheimer

De plus en plus de recherches suggèrent un lien entre la maladie d’Alzheimer et la dysbiose intestinale.12

  • Escherichia/Shigella, des bactéries connues pour être pro-inflammatoires, sont significativement plus fréquentes chez les patients amyloïdes positifs (Amy+) que chez les patients témoins et les patients amyloïdes négatifs (Amy-).
  • À l’inverse, Eubacterium rectale, une bactérie aux propriétés anti-inflammatoires, est significativement moins présente chez ces mêmes patients.13

Maladie de Parkinson

La dysbiose et les symptômes gastro-intestinaux sont fréquents chez les patients parkinsoniens – jusqu’à 80 % d’entre eux en souffrent. Ils peuvent se manifester avant le diagnostic14,15: par exemple, la constipation peut survenir jusqu’à 20 ans avant l’apparition des symptômes moteurs.16 Certaines bactéries ont été associées à certains symptômes de la maladie de Parkinson.15,17,18 Par exemple, un faible nombre de Bifidobacterium au début de la maladie (année 0) a été associé à une aggravation des hallucinations après 2 ans.19

Rôle des probiotiques 

Un régime méditerranéen riche en fibres provenant des fruits, des légumes et des céréales complètes est associé au risque le plus faible de dépression et de déclin cognitif.

Les psychobiotiques (micro-organismes vivants ayant des effets bénéfiques sur la santé mentale) peuvent jouer un rôle dans le traitement des troubles mentaux, en particulier de la dépression, lorsqu’ils sont prescrits en complément des traitements traditionnels (médicaments).

Une revue systématique et une méta-analyse d’essais cliniques randomisés (229 sujets randomisés) ont étudié l’effet des probiotiques sur les patients souffrant de dépression, que ce soit en tant que traitement d’appoint ou en tant que traitement autonome. Les probiotiques ont eu un effet positif global sur les symptômes dépressifs lorsqu’ils étaient utilisés comme traitement d’appoint. L’étude conclut que les probiotiques sont efficaces pour réduire les symptômes dépressifs lorsqu’ils sont administrés en même temps que des antidépresseurs, mais qu’ils ne semblent pas apporter de bénéfices significatifs lorsqu’ils sont utilisés seuls.20

Un essai contrôlé randomisé portant sur 40 sujets sains a montré que, par rapport à un placebo, les participants ayant reçu un probiotique multi-espèces (souches Bifidobacterium et Lactobacilllus) pendant 4 semaines présentaient une réactivité cognitive à l’humeur triste (un marqueur connu de la vulnérabilité à la dépression) significativement plus faible. Ce résultat s’explique en grande partie par une diminution de la rumination et des pensées agressives. Bien que d’autres recherches soient nécessaires, cette étude suggère que la prise de probiotiques peut aider à réduire les pensées négatives associées à l’humeur triste.21

Un probiotique pour l'intestin et l'esprit en situation de stress

Le stress peut perturber le bon fonctionnement du système digestif, notamment en favorisant les troubles fonctionnels intestinaux. Dans ce contexte, un essai clinique22 en double aveugle contre placebo a été mené pour évaluer les effets du probiotique Lacticaseibacillus paracasei (anciennement Lactobacillus casei) souche Shirota chez des étudiants en médecine soumis à un stress intense en raison d’un examen national.

Pendant 8 semaines, 23 participants ont consommé quotidiennement une boisson fermentée contenant la souche Shirota, tandis que 24 autres ont reçu une boisson placebo. Les chercheurs ont mesuré plusieurs paramètres avant et après l’intervention : symptômes digestifs, perception du stress, taux de cortisol salivaire, expression des gènes dans les globules blancs et composition du microbiote intestinal.

Les résultats sont éloquents : comparé au groupe placebo, le groupe ayant consommé le probiotique a montré une réduction significative des symptômes intestinaux liés au stress, une moindre augmentation du stress perçu et une diminution de la réponse physiologique au stress (notamment du taux de cortisol). De plus, la diversité du microbiote intestinal (un indicateur clé de la santé intestinale) était mieux préservée dans le groupe probiotique, avec une réduction marquée de certaines familles bactériennes potentiellement liées à des déséquilibres.

Ces résultats suggèrent que la consommation régulière de la souche L. paracasei Shirota pourrait contribuer à soutenir l’équilibre digestif et émotionnel en période de stress en agissant sur l’axe intestin-cerveau.

Le cerveau peut modifier le microbiome en 2 heures


Les signaux cérébraux impliqués dans la faim et la satiété communiquent avec l'intestin et sont même capables de modifier rapidement la composition du microbiome intestinal, selon de nouvelles recherches.23

Des scientifiques de l'hôpital universitaire de Barcelone et de l'université de Saint-Jacques-de-Compostelle (Espagne) ont joint leurs efforts à ceux de l'équipe dirigée par Patrice Cani et Matthias Van Hul (UCLouvain) pour étudier les liens possibles entre ces zones cérébrales et le microbiome intestinal.

Ils ont injecté des hormones qui agissent sur les zones de l'appétit dans le cerveau des souris et ont constaté que lorsque la zone qui inhibe la prise alimentaire est activée ou bloquée, la composition du microbiome intestinal des souris subit des changements rapides, et ce en l'espace de 2 heures ! En d'autres termes, la sensation de faim ou de satiété fait réagir les bactéries de l'intestin comme si elles avaient reçu ou étaient sur le point de recevoir des nutriments, même si aucun aliment n'a été ingéré.

Ces résultats ouvrent de nouvelles possibilités d'agir sur les habitudes alimentaires et l'obésité en se concentrant sur le rétablissement de cette communication nouvellement identifiée entre le cerveau et l'intestin.
  1. Carabotti et al (2015) Ann Gastroenterol 28(2) : 203-209.
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  23. Toledo M et al. Nature Metabolism. Published : 22 avril 2025.